Voici mon premier portrait d’artisan. Celui de Jean-Marie Roulot un homme sympathique qui présente sur les salons ses ciseaux artisanaux. Il en fabrique depuis des dizaines d’années et propose aujourd’hui des pièces uniques de sa création dans la bonne humeur et une once d’impertinence.
Dans les activités que je connais, couture, tricot, broderie… les objets dont on se sert pour créer ont été inventés il y a des siècles : aiguilles, ciseaux, machine à coudre… Aujourd’hui, on peut trouver tout ça en grande surface mais reste que ces objets en version ancienne et artisanale sont plus précieux et de qualité.
Parmi ces objets, j’ai toujours aimé les petits ciseaux dont se servent les brodeuses. Dans l’imaginaire classique, on pense aux ciseaux dont les lames forment le bec allongé d’une cigogne et l’articulation sa tête. Imités par les gros industriels, ces ciseaux trouvent leur origine en France à Nogent (Haute-Marne), bassin d’un savoir-faire artisanal dans la fabrication de couteaux et de ciseaux. A l’occasion du salon L’aiguille en fête, j’ai été ravie de voir au loin d’une rangée une grande paire de ciseaux annonciatrice d’un artisan qui fabriquait ce type de ciseaux. Brièvement, j’ai pu échanger avec Jean-Marie Roulot, le maître d’art ciselier et « doyen exposant » du salon.
L’inévitable du salon
Il était là au premier salon L’aiguille en fête. Il n’a pas de site Internet et pas non plus d’adresse mail. Ce n’est pas son truc. Et pour s’inscrire en tant qu’exposant, il n’a qu’à attendre qu’on l’appelle pour valider sa présence. Depuis 2004, il vient proposer ces ciseaux, des ciseaux anciens qu’il récupère et remet à neuf mais aussi ceux qu’il dessine et fabrique lui-même.
Jean-Marie Roulot s’amuse à son stand. Il plaisante avec les visiteurs du salon qui restent sérieusement éblouis par les bouts de métal finement dessinés. Il est accompagné de sa femme et sa fille qui ne chôment pas sur le stand en angle sur lequel on retrouve autant de personnes que de petites lames.
La rencontre entre le cisellier et ses premiers ciseaux se fait dans l’année de ses 14 ans. « A l’époque, on nous demandait pas ce qu’on voulait faire et mes parents étaient très pauvres » annonce-t-il d’emblée sans lamentation. Il est alors envoyé à l’usine d’Is-en-Bassigny tout à côté de Nogent, dans une coutellerie artisanale. L’art de la coutellerie recouvre 7 familles dont la cisellerie, la coutellerie de table ou encore l’instrumentation médico-chirurgicale. C’est dans cette usine que Jean-Marie apprendra à fabriquer des ciseaux. Enfin… pour commencer, il apprit à les limer.
Quelques mois après sa mise à l’épreuve, il commençait à travailler le métal plus concrètement. Il se remémore le sérieux de son directeur : « Devant mon établi, il y avait une fenêtre en verre cathédrale. Sauf le premier carreau. C’était tentant de jeter un œil au travers et voir les gens passer. Mais à chaque fois que je regardais au travers de ce carreau, mon directeur arrivait discrètement derrière moi et il me donnait un coup de lime sur la tête ! Je peux vous dire ça fait mal. ». Suivant une discipline certaine, M. Roulot apprit un savoir-faire spécifique et reconnait l’importance d’une rencontre : « c’est lui qui m’a tout appris », en parlant de son directeur. Ses premiers ciseaux fabriqués seul remontent à ses 16 ans.
Années après années, il évolue dans l’usine et devient directeur. En 1988, il ouvre le Musée du patrimoine coutelier du Bassin Nogentais. Il ne s’en occupe plus aujourd’hui, et la raison évoque un homme rêveur : « Ma femme a eu un accident et a été dans le coma pendant près d’un an. Moi je suis pas un intellectuel, c’est elle l’intellectuelle ! Alors comme elle n’était pas là, moi quand je recevais une lettre, hop, je la glissais dans un tiroir et c’était réglé. En réalité, c’est pas comme ça qu’on paie les facture. Du coup j’ai été rattrapé par les dettes. J’ai dû me séparer du musée. ».
Le goût de la création
Le destin forcé de cet artisan a réussi son coup puisque d’obligation, Jean-Marie a trouvé une activité dont il ne saurait se passer aujourd’hui alors qu’il a pris sa retraite. Ce qu’il propose, ce sont des ciseaux anciens qu’il récupère et remet à neuf. A côté de ces excellents ciseaux, on retrouve ses propres créations, des ciseaux dessinés et fabriqués dans les règles de l’art par lui-même. Ils sont plus délicats, plus beaux. Le dessin est fin, minutieux. Lorsque je lui ai demandé s’il y en avait un qui sortait du lot parmi ceux qu’il avait dessiné, il me répondit : « Je ne l’ai plu. Vous l’auriez vu, il était magnifique. J’ai voulu représenter les 4 saisons avec un arbre. C’était vraiment du travail de précision parce que vous savez, toutes les feuilles… Il fallait que chaque feuille, chaque branche, se joignent à un moment ou un autre pour former le ciseau. ». J’ai eu beau chercher, sur Internet je ne retrouve pas les ciseaux de cette description.
Pour autant, cela m’a permis de voir combien Jean-Marie Roulot était une petite personnalité dans le milieu des ciseaux. Les couturières et autres se plaisent à montrer ces fameux ciseaux sur leur blog et site. Plus fort encore, on parle de lui jusqu’à Montréal puisque La Maison Tricotée se fait revendeuse de ces objets d’art au Canada (voir l’article qui lui est consacré).
Pour ma part, je n’avais pas les moyens de m’acheter une paire de création, aussi j’ai choisi ces jolis ciseaux des années 40 remis en état de couper :
Gracieusement, M. Roulot m’a proposé un marché après notre échange, je pouvais garder les ciseaux contre la plus petite pièce que je possédais dans mon porte-monnaie : « C’est comme ça qu’on fait pour payer la dot quand on a pas beaucoup d’argent, on donne une pièce trouée. ». Je n’avais pas de pièce trouée mais j’avais une pièce mexicaine.
C’est là-dessus qu’on s’est quittés. J’avais rencontré un type sympathique, sérieux et généreux. J’en gardais quelques notes que je partage ici ainsi qu’un bon souvenir et ma première paire de ciseaux artisanale !
Pour aller plus loin :
Une fiche récapitulative de l’artisanat coutelier de Nogent proposée par France 3
Les épingles « Ciseaux » de C. Imbaud – on y retrouve les ciseaux de J-M Roulot mais pas que
L’article de La Maison tricotée de Montréal
Je voudrais acheter les ciseaux muguet. sont-ils disponibles?. quel est le prix?
Maria,
je ne saurais vous dire si les muguets sont disponibles et leur coût. Par contre, vous pouvez tout à fait contacter Monsieur Roulot directement qui se fera un plaisir de vous donner ces informations :
Jean-Marie Roulot
2 bis rue du 8 mai
52800 Nogent
Téléphone : 03.25.31.70.63
Vous pourrez notamment lui demander quels sont ses prochains salons et s’ils ont lieu près de chez vous.
En espérant que vous trouverez ce que vous cherchez !