Perché en haut d’une falaise, le village de Lauris héberge quelques merveilles du monde végétal qu’une teinturière en herbe ne saurait esquiver.
Depuis que j’ai commencé ma série de reportages sur la transformation de la fibre, la teinture est une de mes préoccupations. Teinture à l’acide ou teinture végétale, les procédés sont variés. Je prends le temps de saisir ce milieu avant de trouver le meilleur moyen d’en parler.
Malgré tout, je dois quand même commencer à vous en parler. En effet, l’occasion était trop belle pour la manquer : nous sommes descendus dans le sud de la France avec mon compagnon début août et nous avons pu nous rendre au jardin conservatoire de plantes tinctoriales de l’association Couleur Garance (un grand merci à ma sœur pour le prêt de sa voiture !).
Impossible pour moi de passer si près de ce lieu sans le visiter. On croirait son existence magique lorsqu’on le découvre. C’est un jardin des plantes, oui… mais spécial teinture !
L’idée en revient à Michel Garcia, spécialiste de renom dans le monde de la couleur végétale dont le travail est vaste et précieux. En 1998, il monte l’association Couleur Garance dans le Luberon où l’histoire de cette région est colorée par les ocres de ses terres, le vermillon de ses cochenilles, le rouge de sa garance… Outre une volonté de transmettre et promouvoir la couleur végétale, l’association se voit confier la gestion d’une partie des terrasses du château de Lauris en 2002 où plus de 250 espèces végétales s’y épanouissent désormais pour satisfaire le plaisir et la curiosité des visiteurs.
Ce jardin est une très belle idée car il rend hommage aux origines vivantes de la couleur, permet de saisir le haut potentiel tinctorial des plantes et offre un moment agréable dans un lieu intimiste et paisible.
Le jardin est organisé en 3 parties principales : La science des couleurs végétales, Les nouveaux axes de recherches et Les teintures du monde. Chacune de ses parties est divisée en carrés comprenant quelques plantes regroupées selon un thème précis. La pédagogie est une des raisons d’être de ce jardin, au cas où vous en doutiez !
Pour ma part, je vous propose un résumé de notre visite par l’angle de la couleur, celle qu’on obtient des plantes. Il est à noter que ce ne sont pas les fleurs et les plantes les plus colorées qui sont les plus colorantes ! Vous allez voir cela notamment avec la partie fuchsia.
Je veillerai à garder à l’esprit une utilisation textile bien que le jardin présente la couleur sous un tas d’autres aspects : cosmétique, alimentaire, médical ou encore strictement botanique notamment en nous apprenant que les colorants sont présents dans la plante pour garantir sa survie et/ou sa protection et non pour nous aider à teindre nos fibres.
Toutes les photos que vous verrez dans cet article sont celles que j’ai prises l’après-midi passée au jardin !
L’insaisissable bleu
Couleur à la symbolique forte, le bleu se rapporte au divin (manteau de la Vierge Marie), à la royauté, à l’intelligence, la paix, la contemplation, l’eau, le ciel, l’infinité. Le bleu est très présent dans notre quotidien mais c’est une couleur très particulière qui, d’une certaine façon, n’existe pas en l’état dans la nature. Le ciel est bleu par un effet de diffusion de la lumière dans l’atmosphère, les plumes bleues des oiseaux ne contiennent pas de pigment bleu mais sont aussi un effet de lumière sur la kératine… Il existe quand même du bleu sous diverses formes (comme dans les baies) mais leur solidité (lavage et lumière) n’est pas formidable.
Les plantes utilisées pour la teinture textile sont le Pastel, la Persicaire, et l’Indigotier. Elles contiennent les colorants indican et isatan tous deux nécessaires pour obtenir l’indigo. Ces deux substances passent par un procédé de macération puis d’oxygénation avant de pouvoir colorer la fibre en bleu. C’est toute une histoire de monter une cuve à indigo, je rentrerai dans le détail à une autre occasion.
Le Pastel des teinturiers ou Guède est une plante qui a beaucoup été cultivée en France notamment dans la région de Toulouse. On la trouve pour autant un peu partout sur le territoire mais, pour en obtenir un bleu optimal, la plante doit connaitre une exposition de 14 jours ensoleillés consécutifs. Le sud de la France est donc plus indiqué pour sa culture.
La plante, voisine de la famille des choux, donne des fleurs jaunes mais ce sont les feuilles qui sont utilisées pour la teinture.
Aujourd’hui, la plante n’est pas beaucoup utilisée pour obtenir du bleu car elle est moins concentrée en indigotine que l’Indigotier venu d’Asie. La société Bleu de Lectoure dans le Gers a cependant remis en valeur cette plante qui a fait la prospérité du “pays de cocagne” (qui s’étend de Toulouse à Carcassonne). Le terme cocagne désigne les petits pains de Pastel commercialisés sous forme de coques.
Le Persicaire à Indigo ou renouée des teinturiers se retrouve en Chine et au Japon.
La teinture à l’indigo est traditionnellement utilisée pour la technique du Shibori. Il s’agit d’une teinture à réserve où l’on procède par pliage et ligature du tissu. La garance ou la betterave peuvent être utilisées mais cela est plus rare.
L’Indigotier des teinturiers est un légumineux qui pousse dans les régions tropicales de l’hémisphère nord.
L’Indigotier est venu faire de l’ombre au Pastel à partir du XVIIe siècle alors que le bleu de France s’était vu protégé par Henri IV. Il avait interdit l’utilisation de l’indigo afin de maintenir à flot le commerce important du Pastel.
C’est Louis XV qui abolit le protectionnisme et l’Indigo prit l’avantage. Un dernier regain eu lieu pour le Pastel avec le Blocus continental de Napoléon. Puis l’Indigotier reprit le dessus avec le libre-échange jusqu’à subir lui-même un déclin à l’arrivée des colorants de synthèse.
Si ces 3 plantes sont des références dans la production de bleus naturels, le jardin présente d’autres pistes pour obtenir cette teinte. Malgré tout, le savoir-faire actuel concernant ces “autres” bleus apporte des résultats fragiles niveau solidité. Voici quelques spécimens :
Le jaune au cœur de bien des plantes
Couleur joyeuse, rayonnante, elle est associée au soleil et à l’or. Elle a cependant connu des heures plus sombres : associée à Judas, elle symbolisait alors le mensonge et la trahison. En Asie, la couleur évoque le sacré (Chine) ou l’humilité chez les bouddhistes.
Le monde végétal regorge de colorants jaunes : les flavonoïdes. Ils permettent d’obtenir des jaunes solides tant face à la lumière qu’au lavage.
La gaude ou le réséda des teinturiers était une plante longtemps cultivée pour la teinture en Europe. Son jaune était très apprécié. Aujourd’hui, elle se fait plus rare. On la retrouve à l’état sauvage notamment dans le sud de la France car elle apprécie les sols secs. Mieux vaut se renseigner sur son statut avant d’en cueillir dans la nature.
Cette plante bisannuelle peut être utilisée pour la teinture la deuxième année de sa plantation. Selon l’additif ajouté, on peut aussi obtenir un vert olive avec du cuivre ou un vert bronze avec du fer. En général, on ne prend que les tiges fructifères, c’est-à-dire le haut de la plante.
Voici un aperçu des nombreuses plantes qui “font” du jaune :
Le rouge, couleur prisée depuis la nuit des temps
Il s’agit d’une teinte d’importance car elle est la première que l’homme a travaillée en teinture comme en peinture. Couleur forte, elle symbolise la colère, la guerre ou la force. Le sang est rouge et représente la vie ou la mort. En opposition au vert, le rouge évoque le danger ou l’interdit. Seul, il est signe de pouvoir, de richesse. Avec le rouge, tout est possible. Il attire tellement le regard qu’il peut faire passer tous les messages.
Le colorant rouge, l’anthraquinone, est utilisé depuis très longtemps en France grâce à la Garance notamment cultivée en Provence. Puis des bois rouges originaires d’Amérique ou d’Asie sont venus la concurrencer. Un autre atout pour la France se tient dans le village de Lauris, connu pour ses récoltes de la Cochenille kermès vermilio, petit insecte parasite du chêne Kermès à qui il donne son nom. La récolte à la main était un travail pénible. Après broyage, l’insecte donne le rouge écarlate dit vermillon. Lorsque la récolte s’est arrêté, la cochenille a disparu. La Cochenille du cactus Nopal (dactylopius coccus) a été découverte et a pris le dessus. Néanmoins, elle ne donne pas les mêmes colorants. Celle-ci donne un rose-rouge (rouge carmin) qui est un colorant alimentaire aujourd’hui utilisé dans la charcuterie. On le retrouve sous l’appellation de colorant E-120. N’en ayant pas vu au jardin, je m’attarderai plutôt sur le rouge issu des plantes !
La Garance des teinturiers à ne pas confondre avec la garance voyageuse, est la plante du rouge par excellence. Elle est particulièrement appréciée car elle est la seule plante à donner un rouge vraiment pur et qui soit en plus solide à la lumière et au lavage. On utilise ses racines (qui sont plus grosses que celles de son homologue la garance voyageuse) que l’on fait sécher et que l’on broie ensuite.
Si le rouge est relativement facile à extraire et de qualité, la culture de la plante nécessite un roulement bien orchestré. Comme c’est la racine qui est utilisée, on doit arracher toute la plante pour pouvoir en sortir son pouvoir colorant. De plus, on ne peut récupérer les racines de la plante qu’après 3 années en sol. Il faut donc être prévoyant et replanter régulièrement en repiquant des morceaux de racines ou en utilisant les graines pour les semis.
Après un travail de longue haleine pour cultiver la plante sur le territoire français, la Garance a fortement contribué au développement économique du département du Vaucluse qui fournit 65% de la production mondiale au XIXe siècle. En 1829, pour stimuler la production de la garance, le roi de France Charles X impose à l’armée française le pantalon et le képi garance, que garderont les soldats de la Première Guerre Mondiale ; la garance a des propriétés antibactériennes, protégeant nos poilus de la gangrène. Le succès de la Garance s’effondre vite lors de la seconde moitié du XIXe siècle : l’épuisement des terres, conjuguée à la concurrence de l’alizarine synthétique vont faire que la production périclite rapidement et en 1880, plus aucune garancière ne subsiste. De plus, les uniformes des soldats considérés comme trop voyants en rouge deviennent alors bleus en 1915. Cela enterre définitivement la culture de la Garance dans le pays.
Autres plantes donnant du rouge :
Petit aparté sur le fuchsia
Il est au jardin un carré qui flamboie de couleurs fuchsia. Il regroupe les plantes qui possèdent des pigments de la famille des bétalaïnes. Ils sont peu utilisés en teinture textile car ils sont très fragiles. On les réserve plutôt pour la fabrication de colorants alimentaires (groupe E-162). Les teintes obtenues peuvent être jaunes ou roses. Je vous laisse admirer la saturation des couleurs sur les végétaux eux-mêmes !
Les noirs et les marrons des tanins
Couleur de la nuit, de l’obscurité, le noir arrête le temps. Le chat noir, lui, porte malheur mais dans l’Égypte ancienne c’est la couleur de la renaissance et de la fertilité (une terre bien noire laisse supposer une terre fertile). Chez nous, la mort et le néant sont plus proches de ce que nous évoque cette sombre teinte. Elle habille le deuil et finalement aspire à la sobriété et à l’élégance.
Le noir est l’absence de lumière, l’absence de couleur. Mais en peinture, le noir est un parfait mélange des 3 couleurs primaires : le bleu, le rouge et le jaune. C’est ainsi que les teinturiers ont d’abord procédé pour espérer obscurcir les fibres :
“Savantes teintures sur laine de bleu foncé avec mordant d’alun, de garance soutenue et de gaude” (extrait du panneau explicatif “noir” au jardin).
Avec l’utilisation de la noix de galle, on s’approche plutôt des gris et marrons. Il s’agit d’une excroissance provoquée par une piqûre d’insecte sur les chênes.
C’est le bois de Campêche qui fournira d’abord un noir véritable, uniforme et profond.
Les noirs et marrons sont obtenus à partir d’une substance végétale bien connue : les tanins. Ils ont pour vocation de protéger la plante des attaques microbiennes. On les utilise aussi dans la préparation des cuirs : le tannage. Les molécules des tanins protègent donc aussi les cuirs car elles transforment les protéines de la peau en produit insoluble résistant à la décomposition organique.
On les connait enfin par leur consommation via le thé vert ou le vin, les tanins étant présents dans le raisin mais aussi dans les fûts de chêne pendant l’élevage du vin.
On retrouve les tanins dans tout le règne végétal mais ce sont en particulier les arbres qui en abritent les plus grosses quantités. Le bois, les écorces, les racines, les feuilles et les fruits sont susceptibles d’en contenir.
Selon le procédé utilisé et la plante choisie, les résultats donneront plutôt des marrons (chauds ou froids) ou des gris.
Le Henné avec la présence d’autres colorants dans les feuilles tirera le marron vers le jaune, le orange.
Le bois de campêche reste une référence pour obtenir un beau noir mais c’est aussi le cas du Nénuphar blanc. Son rizhome, sorte de racines, a été utilisé en Allemagne afin d’obtenir un noir résistant.
Autres plantes à tanin :
En quittant le jardin…
Il est maintenant l’heure d’annoncer la fin de la visite. J’espère que cet aperçu des plantes et connaissances que nous offre Couleur Garance à travers ses terrasses vous aura plu et même donné envie de vous y rendre ! Je finis avec la preuve que les plantes ont bien le pouvoir magique de colorer la fibre : nous avons pu jeter un œil au résultat d’une semaine de stage teinture où 2 élèves ont eu la chance de constituer un superbe nuancier.
Lise Camoin, artiste et teinturière qui officie pour l’association dans le cadre des stages, nous a permis de nous approcher de l’atelier. Sorte de chapelle de la couleur végétale dans mon esprit.
Je la remercie vivement d’avoir pris quelques instants pour nous parler de son travail et d’avoir partagé avec nous ses connaissances tant sur les plantes que sur la teinture. Notre échange m’a permis notamment de préciser certains propos dans cet article ! Merci aussi à Couleur Garance et notamment Mathilde Christol dont l’accueil et les contacts furent très agréables et aussi enrichissants.
Sur ce, je m’en vais profiter des trésors achetés en boutique…
Liens utiles et ressources
sites web
- Couleur Garance (+ vidéos youtube)
- Lise Camoin
- Bleu de Lectoure
livres
- Guide des teintures naturelles, plantes à fleurs, Marie Marquet, Belin, 2011
- De la garance au pastel, le jardin des teinturiers, Michel Garcia, Marie-Françoise Delarozière, Edisud Nature, 1996
- Le Langage des symboles, David Fontana, Gründ, 2004